Nachhaltigkeit als unternehmerischer Mehrwert

Portrait Prof. Dr. Julia Binder

Portrait Prof. Dr. Julia Binder

«La durabilité, une valeur ajoutée à l’entreprise» Entretien avec Julia Binder

Publié le 16.02.2024

Les recherches actuelles de Julia Binder portent sur la durabilité dans les organisations et mettent l’accent sur l’innovation durable, les modèles commerciaux circulaires et l’esprit d’entreprise. Dans le cadre de son travail, elle analyse les processus, stratégies et mécanismes permettant aux entreprises et aux managers de combiner les conséquences économiques, sociales et écologiques lors de la mise en place et de la transformation de leur entreprise. Co-auteure du livre «Circular Business Revolution», à paraître prochainement, elle apporte son expertise dans le domaine de l’économie circulaire.

Vous enseignez la Sustainable Innovation à l’IMD à Lausanne. Pouvez-vous nous expliquer ce concept et ses enjeux?

Avancer vers une économie durable est peut-être le plus grand enjeu sociétal et organisationnel de notre époque. Pour ce faire, il faut mettre l’accent sur l’innovation durable (Sustainable Innovation), une innovation qui vise à combiner les valeurs ajoutées sur le plan économique, social et écologique. Ces innovations portent, comme avant, sur des processus, des solutions commerciales, des produits ou des prestations, mais doivent toutefois être conçus de manière à générer une valeur ajoutée sociale et écologique. Une attention particulière est portée, dans le domaine de la durabilité, à la transformation d’une création de valeur orientée produit en une création de valeur orientée services. Les entreprises qui réussissent se poseront la question: «Quels nouveaux secteurs d’activité s’ouvrent à nous? Devons-nous vraiment vendre tous les produits, ou bien pouvons-nous générer plus d’opportunités commerciales et d’innovations en élargissant notre offre au modèle «everything as a service (XaaS)» et en étoffant peut-être notre offre de cette manière? Cela marque une différence flagrante avec les innovations conventionnelles du monde commercial.

Les deux thèmes, «Durabilité» et «Innovation», n’entrent-ils pas en conflit?

Actuellement, nous connaissons une période de grands changements dans notre manière de penser – la durabilité n’est certes pas un sujet nouveau, mais par le passé, les entreprises l’ont souvent traitée séparément de leur cœur de métier. Pour simplifier, les entreprises se sont concentrées sur leur activité clé, tout en plantant quelques arbres à Madagascar pour satisfaire à notre responsabilité sociale et écologique. La durabilité était souvent très éloignée du cœur de métier. Ces dernières années, nous constatons cependant que la durabilité concerne de plus en plus le cœur de métier des entreprises, ce qui représente un changement réellement significatif, tangible dès à présent. C’est comparable à la numérisation – sur ce sujet, il n’était simplement pas possible de tout continuer comme d’habitude tout en y ajoutant un peu de numérisation; au contraire, la numérisation a considérablement influencé le cœur de métier. C’est là que l’innovation joue naturellement un rôle décisif, pour mettre en place ces connaissances de manière stratégique et innovante et s’atteler au thème de la durabilité. Nos expériences à l’IMD montrent que, malgré un changement des mentalités dans les entreprises, la durabilité n’est pas encore suffisamment mise en œuvre sur le plan stratégique. Il ne s’agit pas de signaler le nombre de «net zero pledges» (ndlr: promesses de zéro émission nette sans ambition), mais bien d’allier durabilité et économie afin d’augmenter les potentiels. Une évolution fascinante que nous observons actuellement est la connexion entre technologies numériques et durabilité. La combinaison de ces deux champs de transformation peut permettre d’ouvrir de tout nouveaux secteurs d’activité. Ce qui est intéressant, c’est que très peu d’entreprises ont exploité ce potentiel jusqu’à maintenant. Cela s’explique certainement par le fait que les entreprises ne voient la durabilité qu’à travers le prisme du risque, comme risque de compliance, et non comme une opportunité de se démarquer et de se diversifier. Pour ces entreprises, la durabilité n’est qu’un facteur de coût et donc une opportunité manquée de créer de la valeur ajoutée via la durabilité.

Tout de même, beaucoup d’entreprises considèrent que la durabilité coûte cher?

Toute innovation nécessite des investissements. L’innovation représente toujours un risque! C’est valable pour tous les domaines d’innovation, pas seulement pour la durabilité. L’enjeu particulier de la durabilité réside dans le fait qu’il s’agit souvent de secteurs d’activité entièrement nouveaux, ce qui augmente le risque. Les horizons de temps qui sont longs sont un autre obstacle dans le domaine de la durabilité – les modèles commerciaux durables sont en effet prometteurs à long terme, mais ils nécessitent généralement plus de temps que les innovations conventionnelles pour s’établir et se mettre à l’échelle sur le marché. De nos jours, il est difficile pour une dirigeante ou un dirigeant d’entreprise d’assumer des engagements à long terme, qui seront rentables dans seulement 5 à 10 ans, alors que des chiffres d’affaires impressionnants sont attendus tous les trimestres. S’y ajoute le fait que les dirigeantes et dirigeants d’entreprise ne sont pas incités à générer du profit pour leur entreprise dans 5 à 10 ans. L’ensemble de notre système économique n’est pas orienté pour encourager les innovations pour l’avenir. C’est, à mon avis, notre plus grand défi.

Que signifie la durabilité pour la chaîne de livraison d’une entreprise?

Il s’agit justement d’un secteur en grande mutation. Jusqu’à présent, les entreprises ont souvent délocalisé leur production dans des pays lointains, souvent pour des raisons de coûts – le principal étant de produire à un prix avantageux. Mais cela est en train de changer, car les gouvernements, principalement dans l’UE, définissent des exigences bien plus élevées en matière de durabilité. Les entreprises doivent désormais prendre en compte des facteurs socio-écologiques, ce qui rend la production en Europe de nouveau intéressante. Dans la chaîne de livraison, il se passe donc beaucoup de choses, car les grandes entreprises doivent répercuter sur leurs fournisseurs la pression d’agir de manière durable – mot clé Émissions scope 3 (ndlr: Émissions scope 3 comprend les émission de gaz à effet de serre indirectes, causées par une organisation mais non générées dans ses propres limites d’exploitation mais le long de l’ensemble de sa chaîne de livraison). Tout à coup, un fournisseur pouvant justifier d’un meilleur bilan en matière de durabilité est avantagé par rapport à un fournisseur proposant uniquement un meilleur prix, ce qui peut être considéré comme une chance absolue sur le marché national.

Que signifie l’innovation durable et la business transformation pour une PME normale?

Les petites et moyennes entreprises (PME) subissent une énorme pression dans leurs activités quotidiennes, car il est souvent difficile, voire impossible, pour elles de se pencher de manière stratégique sur le thème de la durabilité. Pourtant, plutôt que d’y penser purement en termes de risques, elles devraient l’aborder sous l’angle des opportunités commerciales qu’elle représente. De nombreuses PME étaient également dans l’expectative concernant la transformation numérique, mais ces investissements s’avèrent rentables aujourd’hui. C’est aussi le cas pour la durabilité – les PME qui voient la durabilité comme une opportunité de se diversifier ont un avantage certain. Il est toutefois important de remarquer que les PME n’ont pas les mêmes ressources que les grands groupes internationaux pour aborder ce thème. Il est donc compréhensible qu’elles y soient souvent relativement opposées, ou qu’elles le considèrent plutôt comme un risque. Malgré tout, cela vaut la peine de se pencher activement et en parallèle sur la numérisation et la durabilité. Un meilleur reporting, des processus de production optimisés – numérisation et durabilité vont de pair et offrent un avantage concurrentiel significatif, rendant l’entreprise plus résistante et plus apte à gérer les crises.

Quel potentiel offre la reverse logistics (la logistique inverse ou logistique retour)?

C’est un nouveau marché fascinant et un gigantesque potentiel pour l’avenir. Selon le Circular Gap Report 2023, seulement 7,2% des matériaux de l’économie mondiale sont intégrés dans un modèle circulaire! Cela signifie que 90% de nos matériaux ne sont pas réutilisés, c’est incroyable. Du point de vue de la pénurie de ressources, c’est non seulement un désastre écologique, mais aussi un risque économique considérable. Prenons Nespresso, qui était très critiqué à ses débuts avec ses capsules. Si l’on considère l’ensemble de la chaîne de livraison du café, du transport jusqu’au consommateur, une capsule de café n’est pas une mauvaise idée d’un point de vue purement écologique, car le plus grand impact réside dans la culture du café et un café précisément dosé a du sens du point de vue de la durabilité. Mais seulement si la logistique inverse de ces capsules est adéquate et que le précieux aluminium est réutilisé plus tard. Nespresso a beaucoup investi dans la mise en place d’un système de reprise. Le principal point consiste à réfléchir à la logistique inverse et aux processus circulaires dès la conception du produit, car 80% des impacts environnementaux sont déterminés dès cette phase de conception. Or les designers de produits actuels manquent encore de connaissances et de formation, mais aussi de directives concrètes de la part des entreprises. La logistique inverse ne peut pas être prise en compte de manière isolée. Il faut une méthode systématique, qui prend en compte l’intégralité de la chaîne de création de valeur. Cela commence, comme dit précédemment, par la conception, mais nécessite toutefois de nouveaux investissements dans les infrastructures pour la reprise et le démontage des produits, ainsi que pour les intégrer dans de nouveaux processus de production.

Des partenariats peuvent-ils s’ancrer dans l’économie circulaire?

Oui, absolument! À mon avis, c’est même décisif. La durabilité n’est pas l’affaire de chaque entreprise dans son coin – les partenariats orientés vers la mise en œuvre jouent un rôle prépondérant dans l’économie circulaire. Les partenariats sont nécessaires, car il n’est pas possible de mettre en place une économie circulaire seul – des infrastructures correspondantes doivent être développées et mises en place ensemble. Les partenariats logistiques sont particulièrement importants pour gérer les flux de retours complexes de produits et de matériaux. En cas de changements radicaux ou systémiques, les partenariats sont toujours intéressants. Ils offrent un nouveau point de vue rafraîchissant et rendent possibles de nouvelles approches.

Partenariat académique de la Poste

Dans un monde où chaque personne en Suisse produit en moyenne 125 kg de déchets de carton chaque année, le recyclage du papier et du carton gagne en importance. Le projet innovant GreenLoop, une initiative des équipes «Open Innovation & Venturing» et «Économie circulaire», s’est attelé à ce défi. Quatre étudiants de master en gestion durable et technologie à l’Enterprise for Society Center (E4S) passent en revue le système de recyclage du carton des cantons en Suisse. Leur objectif est de parvenir à une compréhension approfondie de la gestion du papier et du carton et à identifier des solutions permettant de mettre en œuvre l’expertise logistique de la Poste avec efficacité sur les plans économique et écologique.

Le projet GreenLoop démontre de manière impressionnante à quel point la combinaison des connaissances académiques et de l’expérience pratique peut contribuer à des changements positifs dans notre environnement.

Julia Binder

Professeure en innovation durable et business transformation à l’IMD Business School de Lausanne

Portrait Prof. Dr. Julia Binder

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